Lauréate du prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO en 2020, Astrid Chevance a eu un parcours atypique avant de faire de la dépression son sujet de recherche. Enthousiaste et déterminée, la scientifique nous éclaire sur cette maladie encore trop peu prise au sérieux. Rencontre.
« C’est un petit coup de déprime », « faut pas te laisser aller comme ça », « mais tu as tout pour être heureux »… Autant d’injonctions qu’Astrid Chevance voudrait ne plus entendre.
À 34 ans, la jeune femme possède un parcours absolument brillant avec pas moins de trois masters. Après un passage à l’École Normale Supérieure et être devenue psychiatre, Astrid Chevance a fait de la dépression son sujet de recherche. Maladie complexe, mais surtout passée sous silence : qu’est-ce que la dépression ? Vers qui se tourner ? Est-ce qu’on peut en guérir ? Autant de questions que les patients se posent… Sans oser en parler ni à des médecins, ni à leurs proches. Il faut savoir qu’au cours de sa vie, un français sur cinq sera touché par la dépression et il faut parfois près d’un an pour s’en remettre. Alors parlons-en.
Une jeune femme avide de recherches
Astrid est originaire de Vélizy-Villacoublay. La jeune femme fera ses études de médecines à l’UVSQ. Elle nous confie d’ailleurs que d’ici quelques semaines, elle s’installera avec sa famille du côté yvelinois de la Seine. Entre psychiatrie et philosophie, l’esprit de l’étudiante balançait mais ses envies profondes restaient intactes : s’ouvrir au monde et le besoin de comprendre.
La dépression deviendra vite son sujet de prédilection. Les maladies mentales, en plus d’être le parent pauvre de la médecine, sont stigmatisées et à travers son travail, Astrid Chevance cherche à déconstruire ce modèle archaïque. À ce jour par exemple, une cinquantaine d’anti-dépresseurs existent, mais on ne sait pas précisément sur quoi ils agissent.
À mon niveau et à travers mes projets, je cherche à rendre la science plus utile dans la pratique
La scientifique cherche en effet à donner aux patients non plus un rôle d’objet mais de sujet. La jeune femme nous explique qu’il faut dialoguer avec le patient pour pouvoir cibler ce qui le gêne le plus dans sa dépression : chacun est différent et le bien-être de l’un n’est pas identique à celui de l’autre. La dépression est la cinquième cause de handicap au niveau mondial. Elle touche 6% de la population, dans toutes les classes sociales. Sans distinction, la dépression peut s’immiscer dans la vie de tout le monde.
La dépression : parler sans savoir
Des traitements décriés, c’est souvent le cas et Astrid Chevance lutte :
Il faut arrêter de dire que les anti-dépresseurs sont une solution de facilité, ou pire « une pilule du bonheur », c’est absurde. La dépression est une maladie et les patients méritent d’être soignés dignement.
En effet, les traitements médicamenteux existent, les thérapies également. Selon le stade de la maladie, il existe une solution, les décisions se prennent par le patient avec son médecin, sans que le jugement ou l’humiliation de la société ne soit nécessaire.
Il ne faut pas confondre les anti-dépresseurs et les anxiolytiques. Si les français peinent à aborder la dépression chez le médecin, ils sont au contraire parmi les plus gros consommateurs d’anxiolytiques au monde. Selon des statistiques de l’OCDE, près de 13,4% de la population française a ainsi consommé en 2015 au moins une fois un benzodiazépine. La dépression en France souffre également d’un retard de diagnostic. Astrid Chevance indique que si un patient ne se sent pas compris ou écouté, il peut, de lui-même se rendre chez un psychiatre sans mot préalable. Cette consultation sera remboursée par la Sécurité Sociale : « peu de gens le savent, il est bon de le rappeler ».
Donner des « Elles » à la santé
Pour Astrid Chevance, être une femme dans le monde scientifique est un sujet. La chercheuse fait notamment partie de l’association « Donner des Elles à la santé« , qui promeut l’égalité femme-homme dans les professions de la santé. « Quand j’ai appris que j’étais lauréate du prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO, on a monté un groupe Whatsapp avec toutes les gagnantes : c’est super, on s’encourage et on partage ».
Lorsqu’elle parle, on sent qu’Astrid est convaincue et qu’elle compte bien mener ses combats jusqu’au bout. Maman de deux enfants depuis sont internat, Astrid frôle aujourd’hui le plafond de verre lorsqu’on aborde le sujet post-doc : « C’est un stage qu’il faut faire à l’étranger pour qu’il soit valorisé. »
Maigrement rémunéré, Astrid ne pourra pas subvenir aux besoins de sa famille. Laisser ses enfants et son mari pour partir un an ? « Impensable » dit-elle. Faire déménager tout le monde et demander à son conjoint de prendre une année en dehors de son travail ? « On en parle ». Aucune solution ne semble idéale, ce sont donc beaucoup de discussions et concessions. Astrid a décidé de faire des enfants lors de ses études, sachant que le chemin de la recherche était long et sinueux. Elodie Hinnekens, autre lauréate du prix Jeunes Talents, a elle fait le choix d’attendre. Quoi qu’il en soit, si la question de la maternité est complexe pour toutes les femmes, on peut noter que dans le milieu de la science de nombreux progrès restent à faire afin que les femmes ne craignent pas de perdre leur place ou de voir s’évanouir des années de recherches lorsqu’elles auront décidé d’avoir un enfant.
En 2018, Astrid Chevance participe à l’écriture d’un scénario pour un court-métrage. Ce dernier a pour but de mettre en image la dépression, sans filtre. Vous souhaitez en apprendre plus sur la maladie ? Rendez-vous sur le site internet.
Au même titre que l’on prend soin de soi, pourquoi ne pas inclure sa santé mentale ? Elle mérite toute notre attention. Soyons également vigilants avec nos proches. Plus tôt une dépression est prise en charge, mieux c’est.