Jean-Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre et médecin légiste au Centre hospitalier de Versailles répond à nos questions sur la détection de signes d’alerte du psychotraumatisme.
Nous sommes confrontés à une pandémie sans précédent. Quel en est l’impact sur la santé mentale ?
• Le confinement puis toutes les incertitudes entourant le virus sont des facteurs de stress importants. Les jeunes vivent avec le peur d’être contaminé, celle de mourir et celle de contaminer les autres. L’isolement social a provoqué l’ennui, la peur des fins de mois difficiles. Pendant le confinement, les jeunes notamment se sont retrouvés au coeur de tensions intrafamiliales, parfois victimes de violences sans échappatoire…
Quels sont les symptômes de ce stress provoqué par la crise ?
• Ils sont nombreux et plus ou moins prononcés. On relève l’angoisse, les troubles du sommeil, la perte d’appétit, la colère, l’irritabilité, la fatigue ou encore les difficultés d’attention, la morosité et la dépression. Avec des chiffres pouvant aller jusqu’à 50% des jeunes touchés par un ou plusieurs de ces symptômes ! Les annonces jour après jour du nombre de malades et de morts sont très anxiogènes. La communication sur l’enfant facteur de propagation du virus, mal expliquée, en plus d’être stigmatisante est catastrophique.
Comment mieux communiquer auprès des jeunes ?
• Il ne faut rien leur cacher sur les risques, les séquelles et les formes graves de la maladie. Mais il faut aussi parler de la solidarité qui s’est tissée un peu partout, souvent portée par les jeunes du rôle de chacun dans la société et rappeler, sans dramatiser, que l’être humain est mortel.
Peut-on parler de génération sacrifiée ?
• Oui. L’Organisation internationale du travail a remis un rapport qui pointe l’augmentation des inégalités, la destructions des emplois, l’affaiblissement du potentiel productif de toute une génération par la fermeture des lieux d’apprentissage, des universités… Malgré les efforts faits par les jeunes pour ne pas décrocher. Mais la société n’était pas préparée, la 4G était saturée, les outils de travail à distance pas assez efficaces…
Vous êtes un spécialiste des psychotraumatismes chez l’enfant. De quoi s’agit-il ?
• Le psychotraumatisme n’est pas une définition admise par tous. Pour ma part, je dirais que c’est une réaction physiologique à un évènement venant percuter, désorganiser notre fonctionnement psychique et donc, nos émotions, nos comportements, nos capacités relationnelles. Le traumatisme peut survenir lors d’évènements uniques qui peuvent être d’origine naturelle (catastrophe) ou humaine intentionnelle (agression) ou accidentelle. Il peut aussi survenir lors d’évènements répétés : torture, esclavage, violence familiale prolongée, abus sexuels ou physiques.
Quel est le socle du bon développement de l’enfant ?
• Pour se développer de façon harmonieuse et optimale, il faut que ce que l’on appelle les besoins fondamentaux soient assurés et que l’enfant se développe dans des conditions d’attachement sécurisées, répondant à ses besoins : physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime et avec le besoin de s’accomplir. Les figures d’attachement primaires (mère ou substitut dans nos sociétés et secondaires (père, grands-parents…) doivent répondre à ces besoins pour que l’enfant devienne un adulte épanoui, intégré, en relation et en bonne santé mentale.
Quels signaux de maltraitance doivent nous alerter ?
• Nous sommes tous concernés par la maltraitance et nous devons tous être vigilants. Un enfant qui se replie sur lui-même, ou dont les résultats scolaires chutent brutalement, les troubles du sommeil, le manque d’appétit, la scarification, des crises de colère, des maladies somatiques sont des signes que quelque chose ne va pas.
Les Départements des Yvelines, des Hauts-de-Seine et le centre hospitalier de Versailles créent un institut que vous copilotez avec le Pr. Speranza. Quelles sont ses missions ?
• Il accompagnera les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et leur entourage dans leur évolution, dans tous les domaines de la vie, suite à un psychotraumatisme. Aujourd’hui l’offre de prise en charge est parcellaire. Face à des situations complexes, il faut apporter des solutions adaptées et innovantes. Les priorités du Centre sont le repérage précoce des situations à risque, le diagnostic et l’évaluation puis une prise en charge globale et non plus uniquement sanitaire. Cela implique l’entourage familial mais aussi scolaire et les professionnels de la protection de l’enfance. Il faut donner aux figures d’attachement les moyens de répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant pour, in fine, prendre le relais des professionnels.
Retrouvez notre dossier consacré à la protection de l’enfance.
? « La #délinquance juvénile est un symptôme, jusqu’à preuve du contraire, de la #maltraitance«
Intervention du Dr Ben Kimoun, psychiatre et co-pilote du projet d’Institut interdépartemental du psycho-traumatisme de l’enfant | @Les_Yvelines | @hautsdeseinefr | @CH_Versailles pic.twitter.com/vbTLlChl2M
— TV78 ? (@TV78Officiel) October 16, 2020