Véronique Aubergé est chercheure au CNRS de Grenoble. Elle est une spécialiste réputée de la robotique sociale, c’est-à-dire des liens que nouent les humains avec les robots humanoïdes. Elle est invitée au salon E-Tonomy co-organisé par les Départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine. Interview.
Vous dites que le robot social est un selfie de l’homme moderne. Qu’entendez-vous par là ?
J’ajoute même volontiers que pour le robot, comme pour le doigt qui pointe la lune (l’homme), l’imbécile regarde le doigt – le robot, le sage, regarde la lune — l’homme.
Le robot fascine. Et on est bien face à un miroir, mais un miroir qui prend notre image et met en toile de fond ce qui arrive à nos relations : elles nous nourrissent mal, soit insuffisantes, soit surtout de la malbouffe relationnelle des réseaux ou du face à face sans empathie, sans la réalité et le temps des échanges sociaux par les signaux du corps en face à face. Ce robot c’est donc un selfie de nous, narcissiques en mal être de l’autre, qui pensent se nourrir de l’illusion de de notre propre image, dans une illusion d’intimité un à un avec cet objet perçu comme un sujet. Ce selfie met l’homme, comme il pense l’être au centre et au sommet du monde.
Expliquez-nous vos travaux en cours ?
Mon objectif, c’est de comprendre comment les gens s’attachent aux robots, comment ils le manifestent et si c’est reproductible. J’ai donc monté un protocole d’observation avec mon équipe. Nous utilisons le Living Lab Domus, un petit appartement de trois pièces recréé dans nos locaux, où toutes les commandes (actionner les stores, allumer la bouilloire électrique, la télévision ou la lumière) sont activées via un robot domotique baptisé Emox.
Nous observons des personnes âgées interagir avec lui en conditions réelles. Afin de ne pas influencer l’expérience, nous ne leur disons pas la vraie raison de leur venue dans le Domus, nous prétextons qu’il s’agit de tester un appartement pilote pour personnes dépendantes.
Comment réagissent les personnes âgées face à ce robot « majordome » ?
Nous leur expliquons qu’elles doivent lui donner directement leurs consignes – « allume la télévision », « mets en marche la bouilloire » – pour faire fonctionner les appareils de l’appartement. Lui, les suit docilement d’une pièce à l’autre.
Généralement, deux cas de figure se présentent : si la personne est peu isolée, le robot va l’amuser un moment puis elle va rapidement s’en désintéresser ; si elle très isolée, elle va mettre un temps avant de s’intéresser au robot, hormis les quelques commandes qu’elle va lui adresser, puis les échanges vont progressivement s’intensifier jusqu’à devenir très nourris.
Pour cette expérience, nous avons fait le choix d’utiliser un robot aux capacités langagières limitées : il émet de petits bruits de bouche, produit des onomatopées et prononce deux ou trois phrases courtes comme « Comme ça ? » ou « Je peux faire quelque chose ? »
Un lien se créé alors ?
Lorsque les personnes âgées commentent après coup l’utilisation de cet appartement, elles abordent spontanément la présence du robot dès les premières minutes et elles disent toujours la même chose : « C’est bien pour une personne un peu seule… » Cela confirme notre hypothèse selon laquelle le robot social pourrait aider à réparer le lien social en « réentraînant » progressivement les personnes âgées au contact avec autrui.
La robotique sociale au salon Etonomy
Au salon E-Tonomy qui a ouvert ses portes aujourd’hui, en présentiel et avec transmission des débats à distance, les sera abordée la robotique sociale : “ Un levier pour retisser du lien socio-affectif pour les plus fragiles ?
Des experts, réunis autour de Véronique Aubergé, tenteront de répondre à ces questions. A 16h ce mercredi 30 septembre. Les interventions peuvent être suivies à distance.