La conférence « Les Libanais de France, une intégration spécifique » organisée par le Département des Yvelines en collaboration avec la ville de Montigny-le-Bretonneux s’est tenue lundi 17 septembre. Présidée par Michel LAUGIER, Maire de Montigny, elle a réuni près d’une cinquantaine de personnes, principalement d’origine libanaise. L’objet de la conférence était de faire mieux connaître l’histoire et les caractéristiques de la diaspora libanaise en France, en particulier au travers du récit des parcours d’intégration de trois Yvelinois d’origine libanaise, d’interroger le lien de cette diaspora avec la France et le Liban, et de caractériser cette intégration au regard d’autres communautés vivant en France, comme les Sénégalais et les Arméniens.
Dans l’histoire contemporaine, le Liban a connu trois grandes vagues d’émigration depuis la fin du XIXe siècle, mais c’est essentiellement la dernière, due à la Guerre du Liban en 1975, qui a conduit nombre de Libanais à choisir la France comme terre d’accueil. Mme Liliane NASSER, historienne, a dressé le portrait de cette diaspora libanaise vivant à Marseille, porte d’entrée en France des pays méditerranéens. Elle est représentative de la diversité libanaise, toutes les confessions et toutes les origines géographiques étant représentées. Fait notable, à la différence d’autres communautés dont les membres se sont organisés pour maintenir une identité spécifique, Mme NASSER note la quasi-absence d’organisations proprement libanaises sur le territoire français. Vivre en France passe par une forte intégration dans les réseaux associatifs, culturels, sportifs, politiques et intellectuels existant : les Libanais ne se perçoivent pas comme une communauté à part, mais comme des « êtres frontaliers » selon la formule de l’écrivain Amin Maalouf, capables de jouer les médiateurs entre les cultures arabes et occidentales. M. Edmond MASSIH, Président de la Commission France de l’Union culturelle mondiale libanaise, a mis l’accent à son tour sur les capacités d’adaptation des Libanais à leurs sociétés d’accueil : il note que sur les 400 associations qui se disent libanaises, toutes ont adopté l’adjectif « franco-libanaise ». A l’exception de l’Australie où quelques difficultés d’intégration sont recensées, les émigrés libanais se montrent ouverts à l’acceptation des codes, de la culture et des lois des pays qui les accueillent. Ceci est encore plus vrai pour ce qui concerne la France, souvent appelée « la Tendre Mère » au Liban, qui en fait un pays où le désir de s’intégrer est rendu plus fort par l’attachement et les sentiments que les Libanais ressentent envers lui même avant de quitter leur pays. Environ 150 000 Libanais vivraient en France aujourd’hui, dont la plupart disposent d’une double nationalité.
Les trois témoignages qui ont suivi ont confirmé ces propos. M. Joseph TORBAY (entrepreneur), M. Nicolas FADEL (médecin) et Mme Maroulla BARAKAT-DURIEUX (artiste peinte) ont souligné que l’image préalable à leur venue qu’ils avaient de la France, façonnée par le système scolaire, les institutions religieuses et les références culturelles, conduisaient à disposer dès le départ d’une connaissance approfondie de la société et du pays qu’ils ont choisi de rejoindre. Ces témoignages ont mis en lumière que la possession d’un capital culturel important (tous ont fait des études supérieures, en France ou au Liban) voire d’un capital économique de départ pouvaient jouer comme des facteurs favorables à l’intégration, mais ils n’y suffisent pas. C’est par le travail, l’engagement personnel, une approche ouverte et surtout respectueuse des normes sociales, et le refus de la tentation d’un repli sur sa culture libanaise, qu’ils ont pu trouver une place et qu’une place leur a été reconnue tant sur le plan personnel que professionnel. A l’opposé du communautarisme, les Libanais de France ont joué la carte de l’invisibilité pour mieux s’insérer dans leur nouvel environnement, ce qui n’a jamais conduit cependant à oublier ce qui les rattachent à leur pays d’origine, et vis-à-vis duquel ils continuent de ressentir des liens très forts qu’ils communiquent aussi à leurs enfants nés en France.
M. Daouda NDIAYE, Vice-Président du GRDR et écrivain, a pu relever de ce point de vue des différences avec l’immigration sénégalaise en France. Plus structurée et plus visible, conservant une identité forte et l’idée d’un retour dans le pays d’origine, il note tout d’abord que le capital de départ (culturel ou économique) des Sénégalais vivant en France est beaucoup moins important que ce qui caractérise l’immigration libanaise. Les conditions d’un accueil organisé pour satisfaire les demandes d’une industrie française en quête de main d’oeuvre peu qualifiée ont conduit à regrouper des flux importants d’immigration dans des lieux devenus des poches de pauvreté, contexte qui a pu susciter un besoin de retrouver une dignité et une identité par référence au pays d’origine. On ne retrouve pas, dans ce cas, les conditions économiques libérales, favorisant la prise d’initiative individuelle, et décrites par les Libanais, qui ont servi de cadre à cette immigration. Sans doute aussi l’écart entre les deux sociétés est-il aussi plus important : le GRDR travaille avec la diaspora sénégalaise pour trouver une meilleure synthèse, à travers l’éducation, entre culture d’origine et lois du pays d’accueil.
Avec le témoignage de M. Jirayr KHACHIKIAN de l’Union culturelle française des Arméniens de France, et celui de M. Minas MELKONIAN, de l’Association nationale des anciens combattants et résistants arméniens, de nombreuses similitudes ont été identifiées avec le parcours des Libanais de France, même si la présence arménienne en France est plus ancienne : même rôle déclencheur de la guerre dans la décision d’émigrer, même attachement sentimental à une image idéalisée de la France et à sa culture, qui a facilité l’intégration sur place, et place toute aussi importante des institutions religieuses pour véhiculer cette proximité de coeur avec la France. Un siècle après la grande vague d’émigration, les liens au pays d’origine restent pareillement vivaces, bien que l’intégration des Arméniens en France soit aujourd’hui proche de l’assimilation. Et les témoignages donnés au cours de cette conférence ont touché tous les participants à l’évocation du patriotisme et du sacrifice consenti par les Arméniens engagés dans l’armée française lors des deux derniers conflits mondiaux.