Autisme : « Le combat ne s’arrête jamais »

Sandrine GAYET

Cet article fait partie du dossier: Handicap : Le Département veut un territoire plus inclusif

En France, un enfant sur 100 présente un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Le pays est encore très en retard dans la détection précoce de ce trouble du neuro-développement. Rencontre avec la dynamique et chaleureuse Christiane Béhérec, maman d’un jeune homme autiste. Elle est très engagée dans les Yvelines pour que l’autisme soit mieux détecté donc mieux pris en charge.

« La différence invisible » est une BD qui s’inspire de l’histoire de Julie Dachez. Cette jeune Nantaise est atteinte du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme qui ne se voit pas. L’ouvrage raconte son quotidien pour changer notre regard sur l’autisme.
Détail d’un dessin de « La différence invisible » (Julie Dachez/Mademoiselle Caroline/Editions Delcourt)

« Ni psychotique, ni mal aimé, juste différent »

Pierre-Alexandre est passionné de voitures, dont il a une connaissance quasi encyclopédique. Autant dire qu’il adore son boulot de livreur car tous les jours il accompagne les chauffeurs de la blanchisserie de l’ESAT où il travaille. Pierre-Alexandre a 35 ans. Il vit chez ses parents. Il a été diagnostiqué autiste très tard, à 28 ans.

Christiane Béhérec, très impliquée dans la sensibilisation à l’autisme, à sa meilleure prise en charge. @SG/CD78

Christiane Béhérec, sa mère, ne cesse de se battre depuis plus de 25 ans pour faire comprendre aux spécialistes que son fils n’était ni « psychotique » ni « mal aimé », juste différent et qu’il fallait donc adapter son accompagnement.

Les ravages de la psychanalyse

On sent chez Christiane Béhérec une colère sourde envers un certain nombre de psychanalystes qu’elle a rencontrés quand son fils était tout petit. Elle avait déjà deux enfants et voyait bien que les comportements de son benjamin étaient différents, que son développement cognitif, sensoriel, n’étaient pas les mêmes que ses aînés. Et pourtant, à chaque fois, elle s’est heurtée à une certaine indifférence.

« Les pédiatres me disaient de ne pas m’inquiéter, que cela allait s’arranger avec le temps » se rappelle-t-elle.

Jusqu’au jour où un psychiatre-psychanalyste l’a carrément accusée d’être la source du problème :

« Il me disait que je rejetais mon enfant, qu’inconsciemment il n’était pas aimé et a recommandé que l’on nous retire notre fils pour l’envoyer en province dans un établissement psychiatrique ! ».

Et de nombreux adeptes du psychanalyste Bruno Bettelheim n’ont pas fait avancer la connaissance des troubles autistiques, loin de là !

Pour les pro Bettelheim, un enfant autiste c’est une « forteresse vide » et la coupable, la « mère frigidaire » pour reprendre les théories développées par Bettelheim dans son livre « La Forteresse vide, l’autisme infantile ».

A cette culpabilisation, s’est ajouté dans le cas de Christiane et de très nombreux parents, le fameux diagnostic très couru dans les années 2000 :

« Votre fils n’est pas autiste car il parle »

et là, se souvient Christiane, le couperet tombe :

« Votre fils a une psychose infantile précoce »! Sans plus d’explications« . C’était horrible à entendre. Et surtout, on sentait, on savait au plus profond de nous que ce n’était pas du tout ce qu’avait Pierre-Alexandre ».

Source : Agence régionale de Santé

Face au vide, les parents se débrouillent

Quand la médecine échoue à poser un diagnostic, il faut bien se débrouiller. Pas facile surtout quand la représentation de l’autisme c’est Rain Man ou Einstein et que son enfant ne ressemble ni au héros du film ni au prix Nobel de physique. « Il a fallu tout apprendre à Pierre-Alexandre. C’était un enfant hypotonique, très apeuré avec des comportements pas du tout logiques. Par exemple, à un spectacle de clowns, il demandait s’il fallait rire. Il a aussi des intérêts restreints et un comportement très replié sur lui-même comme tous les autistes ».

Pour lui assurer une scolarité à peu près normale, la famille a pu l’inscrire dans une école privée des Yvelines où le suivi était personnalisé, le cadre bienveillant, rassurant, de l’âge de 4 à 6 ans. Il s’en est suivi, une prise en charge en Institut Médicaux-Educatif (IME), où malgré l’imprégnation psychanalytique, certains professionnels bienveillants et ayant l’intuition de la nécessité d’une approche différente lui ont permis de bénéficier d’un parcours croisé IME/Ecole, très innovant pour l’époque. (C’était la 1ère fois pour cet IME)

« Quand le diagnostic est tombé, quel soulagement ! »

Pierre-Alexandre avait 28 ans quand le mot autisme a enfin été prononcé. Pour une autre famille yvelinoise, leur fille de 48 ans a été diagnostiquée en mars 2021 !
Que de temps perdu, que de combats menés pour entendre ce que les parents soupçonnaient souvent depuis des lustres. Poser un mot sur une différence, ça fait du bien. Si Pierre-Alexandre n’avait pas eu sa famille soudée et sa mère présente à 100% pour le stimuler, lui permettre d’acquérir le maximum de moyens pour être presque autonome, il n’aurait pas la vie qu’il mène aujourd’hui avec un travail, des contacts sociaux adaptés… Mais il aura quand même besoin d’un accompagnement à vie.

« Plus le diagnostic est posé tôt, mieux se fait l’accompagnement », insiste Christiane.

En effet, toutes les études montrent que la plasticité cérébrale est très élevée entre 2 et 4 ans. C’est à ce moment-là que l’enfant est le plus apte à intégrer de nouvelles attitudes. Donc si l’enfant est diagnostiqué autiste très tôt, il est possible, dans de nombreux cas, d’améliorer son développement, de lui enseigner les codes sociaux, etc.

« Tant que l’on ne savait pas ce qu’il avait, nous ne savions pas vers qui nous diriger, vers quels organismes nous tourner. C’est anxiogène ».

«On est en retard en France »

« Madame autisme des Yvelines », c’est un peu le surnom de Christiane Béhérec. Elle est depuis plusieurs années la Vice-présidente de l’Adapei des Yvelines, la plus grande association qui milite en faveur des droits des personnes souffrant de handicap mental pour favoriser leur intégration sociale. Elle est également membre de la CDAPH des Yvelines (la commission des droits et de l’autonomie des Personnes Handicapées) dont elle a été Vice-présidente durant huit ans. Colloques, rapports, projets de loi sur l’autisme – ou les autismes – elle connaît. Quand on lui demande alors ce qui est urgent de faire en France pour l’autisme, sa réponse fuse :

« diagnostic précoce et prise en charge. On est en retard en France sur ces questions ».

Pour elle, ce qui pèche également c’est le manque d’établissements dédiés à l’autisme avec des encadrements personnalisés, des éducateurs et personnels très bien formés à l’autisme. « Il faut aussi développer le logement inclusif mais pas n’importe comment ».

Un projet intéressant d’habitat inclusif pour jeunes adultes avec TSA, soutenu entre autre par le Département des Yvelines devrait voir le jour prochainement à Bois d’Arcy.

Et le futur Foyer d’accueil médicalisé de Bècheville/Les Mureaux, qu’en pense-t-elle ?

« Il fallait créer une structure comme ça, au vu du nombre important de personnes sans solution, et afin de freiner les départs en Belgique. »

Pour cette militante et experte de l’autisme, par la force des choses, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, de combats à mener pour que l’autisme soit mieux connu, reconnu et que les autistes trouvent pleinement leur place dans la société.

Les signes d’alerte chez les enfants

Par le Docteur Marie Joëlle Orêve, psychiatre, médecin responsable du Centre de diagnostic et d’évaluation de l’autisme, centre hospitalier de Versailles